Le temps des fanatiques

L’époque est aux fanatismes de tous bords et non pas seulement religieux : Deep ecolgy, wokisme, véganisme, libertarisme absolu, adorateurs divers (d’une célébrité, d’une équipe) … Ceci est d’abord dû au fait que notre époque est un moment perturbé, troublé et incertain. Cette instabilité, ressentie profondément par tous, entraine le stress, l’inquiétude, sinon l’angoisse (95 % des Français sont stressés ou anxieux selon une étude réalisée par l’Ifop). Les gens cherchent donc des réassurances et des repères absolus. Interviennent alors, par médias interposés, des gourous, des politiciens, des guides spirituels de toutes sortes, des créateurs d’idoles et de programmes salvateurs. Ils proposent des solutions auxquelles les déboussolés s’accrochent avec espérance, puisque l’adoration ou le dénouement proposés sont radieux. Le fanatique est un individu dont le psychisme est totalement envahi par l’idée fixe à laquelle il s’accroche. Sa personnalité est réduite à son obsession. C’est donc une sorte « d’obsédé définitif » ou de « phobique ultime ». Il passe ensuite sa vie à essayer de réaliser son obsession.

 

Un des pères oubliés du fanatisme : Savonarole

 

Je reprends ici les données apportées par sa biographe italienne Marie Viallon (Savonarole. Glaive de Dieu, 2019). Elle a consulté les centaines de manuscrits concernant les prêches de Savonarole, sa correspondance et les très nombreux témoignages de l’époque à la bibliothèque de Florence.

 

Jérôme Savonarole né en 1452 à Ferrare. Dans la maison familiale, sous la houlette du grand père, Michèle, médecin à la cour du Marquis de Ferrare, l’atmosphère est profondément chrétienne. Son grand-père l’élève dans la pensée de saint Thomas d’Aquin, et surtout aussi, dans l’horreur de la corruption du monde religieux tel qu’il était à l’époque.

 

La désespérance

 

Vers l’âge de 18 ans, Jérôme Savonarole demande en mariage la fille d’un noble florentin exilé habitant en face de chez lui. La main de la belle Laodomia lui est refusée chèchement : « Comment peut tu imaginer que le sang et la noble race de Strozzi puissent s’abaisser à une union avec les Savonarole ? », lui a fait répondre le père. Pour Jérôme, le dépit se mêle au dégout de plus en plus fort pour le monde tel qu’il est. Les poèmes qu’il écrit en témoignent :

« Voyant le monde sens dessus dessous,

Et toutes les vertus et les bonnes mœurs ayant disparus :

Je ne trouve aucune lumière vive

Ni personne qui a honte de ces vices …

 

La révélation

 

Il se lance dans des imprécations contre la corruption de l’Italie, des États Pontificaux et de ses prélats. Au cours du mois de mai 1474, alors qu’il a 22 ans, il va à Faenza où il assiste au prêche d’un frère qui rappelle les mots de la Genèse quand Dieu dit à Abraham :

Sortez de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père et venez en la terre que je vous montrerai.

Savonarole, nous dit sa biographe, « est particulièrement frappé par cette exhortation divine qu’il entend comme un oracle prononcé pour lui. Il prend alors une décision irrévocable : « je suis parti et je me suis fait moine en moins d’un an » … ». Il quitte la maison paternelle sans explication en laissant un poème sur le rebord de la fenêtre.

 

Il s’en va au couvent de Bologne et, dit-il dans sa lettre adressée plus tard à son père, sollicite l’aide de Dieu pour trouver une solution (à la déchéance du monde, mais aussi à son propre désarroi). Savonarole poursuit un cursus de théologie avec les grands maîtres spécialistes de Saint Thomas d’Aquin. Il devient maître des novices et se perfectionne dans l’art oratoire. Lors de sa disputatio sur un sujet de théologie, son éloquence est remarquée et il est nommé lector au couvent San Marco de Florence. Son poste de lector lui donne l’obligation de commenter, quatre fois par semaine, les Sainte Ecritures. En 1884, un nouveau pape est élu suite à la mort de Sixte IV. Ce pape ne fait pas l’unanimité et Savonarole « exprime son indignation et fait appel au Christ Sauveur car les Hommes ne peuvent plus désormais sauver l’Eglise ».

 

En fait, la personnalité outragée et révoltée de Savonarole s’est forgée à trois moments clés : 1°) dans sa jeunesse avec le sentiment d’horreur devant le monde ravagé par les guerres et devant de dévoiement de l’Eglise ; 2°) à 18 ans, avec le refus dévalorisant de sa demande en mariage et sa forte déception ; 3°) puis, juste après cette amertume, avec la révélation du prêche qu’il prend pour une adresse personnelle de prendre le chemin de Dieu. Les situations d’indignation successives (élection d’un pape corrompu, débauche des prélats, déchéance des populations florentines …), ne font que raviver son idée de purifier ce monde déliquescent en le ramenant aux vertus des premiers chrétiens.

 

L’action

 

En 1494, Savonarole établit un gouvernement théocratique et décrète la ville de Florence comme la capitale de la cité de Dieu, à partir de laquelle toute l'Italie et l'Église, seront réformées. Il fait voter des lois contre la sodomie, les relations homosexuelles, l'adultère, l'ivresse publique et d'autres transgressions morales. Son lieutenant Fra Silvestro Maruffi organise des patrouilles de jeunes hommes dans les rues pour lutter contre les tenues et comportements impudiques. En février 1497, ces patrouilles sont envoyées partout dans la ville « pour collecter tous les objets liés à la « corruption spirituelle » : les miroirs et cosmétiques, les images licencieuses, les livres non religieux, les jeux, les robes splendides, les livres de poètes jugés immoraux, comme Boccace et Pétrarque. Savonarole et ses partisans élèvent alors un grand bûcher sur la piazza della Signoria. Des œuvres de l’art florentin de la Renaissance disparaissent ainsi, dont des peintures de Botticelli, que l’artiste aurait lui-même apportées. » Des mécontentements se font jour. Savonarole échappe à plusieurs attentats. Il fait arrêter cinq suspects et les fait décapiter … Le 23 mai 1498, Savonarole et quelques partisans proches arrêtés, puis sont pendus et brulés sur la place publique.

Les écrits de Savonarole se répandent en Allemagne et en Suisse. De nombreuses personnes commencent à le considérer comme un martyr. Martin Luther est influencé par ses écrits. Par ailleurs, Savonarole a sa statue au pied du monument de Luther à Worms, en Allemagne, et l'Église luthérienne le commémore en tant que martyr le 23 mai.

 

Le processus psychique menant au fanatisme écologique

 

Comme pour la formation de l’obsession de Savonarole, les écologistes radicaux vivent d’abord une situation psychologique angoissante et déstabilisante : 1°) le monde va à sa perte à cause des pollutions dues aux industries et aux hommes. Cette conviction est renforcée chaque jour par la lecture de rapports d’experts et des descriptions désastreuses faites par les médias sur l’état de dégradation de la nature et du règne animal ; 2°) Ils éprouvent alors un sentiment d’écœurement devant ce qui leur semble être le laisser aller de tous et l’incurie des États ; 3°) Leur esprit troublé est prêt à accepter la révélation des moyens du sauvetage nécessaire dicté par les gourous de l’écologie. Il faut contrôler tout ce qui peut être à l’origine d’une pollution. Leur révulsion originelle se transforme alors en une révolte, laquelle les pousse à agir contre des cibles désignées comme responsables.  

 

La Deep ecology est une nouvelle religion salvatrice qui répond à l’angoisse écologique. Cette religion possède son péché originel (la pollution faite par les hommes), ses auteurs bibliques (Anne Naess), ses rituels de purification (manifestations diverses avec chants et agitations de néocrucifix), ses apôtres évangélisateur (Greta Thunberg), ses actes de foi, c’est-à-dire ses axiomes de pensée, dont les plus importants sont : « il faut démanteler la civilisation industrielle qui pollue la planète », « l’homme n’a pas le droit d’exploiter les ressources de la nature » … (Mathilde Ramadier, L’Écologie profonde, 2023).

 

Pour les tenants de cette pensée écologique radicale, il faut donc passer à l’action pour arrêter le suicide collectif. Il y a des actions stratégiques à mener : il faut déclarer la guerre aux industries et aux manières de vivre actuelles (Clément Hugo), il faut faire sécession face aux forces industrielles d’extrême droites toujours plus menaçantes, il faut libérer les terres, les animaux, pour que tous arrivent à l’égale dignité humaine (Fatima Ouassak). La mise en œuvre de ces croyances puissantes dépasse la réalisation de « coups médiatiques » (dégradation d’œuvre d’art, enchaînement collectif…). Elle passe par des actes quasi-terroristes : blocage de sites industriels, saccage de matériel de chantier, destruction de recherches agronomiques, attaque d’ouvrages agricoles, arrachage de plantations expérimentales … Ces actions sont évidemment accompagnées d’agression des forces de l’ordre venues protéger les matériels et les personnels mis en cause. Au sujet de ces actions, beaucoup d’auteurs parlent d’un « intégrisme vert », d’un « écofascisme » ou d’une « écologie punitive » (Yves Roucaute, L’obscurantisme vert. La véritable histoire de la condition humaine, 2022).

 

Conclusion

 

C’est un des fanatismes contemporains. Il répond donc à la peur de l’avenir et à l’écœurement face à la pollution du monde actuel en agressant des boucs émissaires jugés responsables. Certains édiles de grandes villes rêvent, à l’instar de Savonarole, de créer une « cité de la pure écologie ». Plus de sapin coupé à Noël, plus de cheminées fonctionnant au bois, des arbres et du gazon sur les grandes voies, une petite allée réservée aux véhicules certifiés, plus de voitures diesel ou essence, que des voitures et des trottinettes électriques ainsi que des triporteurs à pédales … Pour vraiment être dans la filiation de Savonarole, il leur reste à constituer des brigades de jeunes gens pour la « chasse aux pollueurs » (ils doivent y penser) et à organiser rituellement, tous les mois, sur la place publique, des « buchés de pollueurs » où seront détruits à la presse hydraulique véhicules, matériels et machines insalubres que leurs brigadiers auront été dénicher chez les délinquants récalcitrants (ils doivent y penser aussi) …