Le monde de Trump

Une formation au spectacle
« Le catch, nous dit le dictionnaire, est une forme de divertissement combinant performances sportives et théâtrales … Un catcheur est en représentation au sens artistique du terme » Un retentissant article d’Axel Gylden dans le magazine L’Express du 13 mars nous apprend que Donald Trump est fan de catch depuis ses 9 ans, âge où il allait voir ces spectacles au parc de Coney Island, à New York, alors que son père y investissait dans l’immobilier. Plus tard, il s’est formé à l’art d’haranguer les foules auprès des dirigeants de la fédération professionnelle de catch des U.S.A. En 2007, fort de ses amitiés avec les milliardaires organisateurs de combats de catch, il se met en scène dans « la bataille des milliardaires », contre le milliardaire Vance McMahon. Le combat, truqué, bien entendu, lui donne la victoire et lui permet de raser le crane de son adversaire devant la foule en liesse et les millions de téléspectateurs de l’émission The Apprentice, qui, de ce fait, se trouve relancée.
Les incidences mentales
Qu’a retenu Trump de son apprentissage auprès des organisateurs de spectacles de catch et de cette dernière scène valorisante pour lui et pour les affaires des deux complices ? Sans doute l’idée que l’on peut gagner en popularité et en fortune en organisant des mises en scène extrêmes avec des rôles bien répartis à l’avance, mises en scène qui permettent au public d’être fasciné par « l’orgie de mauvais sentiments » (Roland Barthes). Cette idée que l’on peut gagner sur tous les tableaux en aménageant des « deals » avec des partenaires plus ou moins consentants est d’ailleurs signalée comme étant une marque de fabrique de la personnalité de Trump par tous les analystes.
La notion de « kayfabe » est, par ailleurs, centrale dans le spectacle de catch, nous apprend-t-on. Le kayfabe (du verlan be fake), c’est la règle implicite du catch comme quoi « personne ne doit admettre que le catch est truqué. Cela afin de maintenir la vraisemblance et ainsi préserver la magie du spectacle ». L’objectif du kayfabe, nous dit Axel Gylden est « de noyer le public dans un flou artistique en mêlant fiction et réalité. C’est un monde de post vérité où le vrai et le faux se confondent. » On retrouve là une deuxième marque de fabrique de Donald Trump : dire une chose surprenante, puis son contraire ou autre chose tout aussi ahurissant sur le même sujet, afin de plonger ses interlocuteurs dans la perplexité. « Créer le chaos mental, déconcerter le monde, obliger ses ennemis à tenter le comprendre sans y parvenir, c’est sa tactique mainte fois éprouvée ».
Les admirateurs
Les nombreux admirateurs de Trump sont hypnotisés par le spectacle. Les analyses de Roland Barthes expliquent en partie le phénomène.
Le catch analysé par Roland Barthes (Mythologies, 1957)
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Les mises en scènes de Trump |
« La vertu du catch, c'est d'être un spectacle excessif. On trouve là une emphase qui devait être celle des théâtres antiques … » | Trump « se montre », il est toujours « en représentation ». Les dernières scènes dans le bureau ovale avec Zelenski en sont un exemple, de même que le show-room des voitures Tesla dans les jardins de la Maison Blanche ou les signatures de ses « décrets » …
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« Le public se moque complètement de savoir si le combat est truqué ou non, et il a raison ; il se confie à la première vertu du spectacle, qui est d'abolir tout mobile et toute conséquence : ce qui lui importe, ce n'est pas ce qu'il croit, c'est ce qu'il voit … la fonction du catcheur, ce n'est pas de gagner c'est d'accomplir exactement les gestes qu'on attend de lui … »
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Les gens qui ont élu Trump ne veulent pas savoir s’il « fait du cinéma ». Ce qui leur importe c’est qu’il accomplisse les gestes qu’ils attendent (licenciement des « fonctionnaires », ces personnes payées à ne rien faire ; suppression des financements de la recherche dans les grandes universités, la science, ce n’est pas vraiment utile …). |
« Mais ce que le catch est surtout chargé de mimer, c'est un concept purement moral : la justice. L'idée de paiement est essentielle au catch et le « Fais-le souffrir » de la foule signifie avant tout un « Fais-le payer ».
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Les électeurs de Trump attendent qu’il « fasse payer » tout ceux dont ils pensent qu’ils sont responsables de leurs infortunes |
« On vient au catch pour assister aux aventures renouvelées d'un grand premier rôle, personnage unique, permanent et multiforme comme Guignol ou Scapin, inventif en figures inattendues et pourtant toujours fidèle à son emploi. »
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Les téléspectateurs, électeurs de Trump, sont ravis : ils assistent au rôle attendu et toujours renouvelé de leur champion |
« Il s'agit donc d'une véritable Comédie Humaine, où les nuances les plus sociales de la passion (fatuité, bon droit, cruauté raffinée, sens du « paiement ») rencontrent toujours par bonheur le signe le plus clair qui puisse les recueillir ... Ce que le public réclame, c'est l'image de la passion, non la passion elle-même … Le catch est une pantomime immédiate, infiniment plus efficace que la pantomime théâtrale, car le geste du catcheur n'a besoin d'aucune fabulation, d'aucun décor, en un mot d'aucun transfert pour paraître vrai. »
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Le costume bleu pétrole et les cravates jaune pétard ou rouge sang de Trump, dessine son unique personnage de théâtre. Son air outré et en colère est le plus souvent de mise. C’est le signe qu’attendent ses électeurs, eux-mêmes outrés et en colère pour leurs vies. |
« Certains catcheurs, grands comédiens, divertissent à l'égal d'un personnage de Molière, parce qu'ils réussissent à imposer une lecture immédiate de leur intériorité : un catcheur du caractère arrogant et ridicule (comme on dit qu'Harpagon est un caractère) … »
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Trump signant en grande pompe ses « décrets » et les montrant à la caméra avec sa signature hypertrophiée de mégalomane semble exprimer devant ses supporters sa rage de transformer ce monde qui ne lui plait pas. C’est évidemment ce qu’attendent ses affidés et fanatiques. |
« Sur le Ring et au fond même de leur ignominie volontaire, les catcheurs restent des dieux, parce qu'ils sont, pour quelques instants, la clef qui ouvre la Nature, le geste pur qui sépare le Bien du Mal et dévoile la figure d'une Justice enfin intelligible. »
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Le rôle outrancier joué par Trump le valorise aux yeux de ses supporters. Il représente le lutteur du Bien contre tous les salauds qui peuplent le monde. |
« Qu'est-ce donc qu'un salaud pour ce public composé, paraît-il, en partie d'irréguliers ? Essentiellement un instable, qui admet les règles seulement quand elles lui sont utiles et transgresse la continuité formelle des attitudes. C'est un homme imprévisible, donc asocial. Il se réfugie derrière la Loi quand il juge qu'elle lui est propice et la trahit quand cela lui est utile. »
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« Trump sait que le public est attiré par les choses extrêmes et ses et ses discours no limit. Plus important encore : il a compris que des deux catcheurs, le bon et le méchant, c’est le second qui éveille l’intérêt et fait la plus forte impression … fidèle à la règle du kayfabe, il ne s’éloigne pas du personnage de gros dur immodeste qu’il s’est fabriqué sur les rings, micro en main, dans les années 2000. » (Axel Gylden) |
« Ici, le catcheur triomphe par un rictus ignoble lorsqu'il tient le bon sportif sous ses genoux ; là, il adresse à la foule un sourire suffisant, annonciateur de la vengeance prochaine … là enfin, il dresse un ensemble compliqué de signes destinés à faire comprendre qu'il incarne à bon droit l'image toujours divertissante du mauvais coucheur, fabulant intarissablement autour de son mécontentement. »
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Les rictus ignobles des catcheurs sont les gesticulations verbales de Trump. Là il menace de 200% de droits de douane ; là il traite Zelenski de dictateur ; là encore il annonce qu’il va annexer le Groenland, qu’il va faire de la bande de Gaza un « côte d’Azur » … Le comble dans cette dernière gesticulation, c’est que les pays arabes proposent « un plan » pour Gaza. Ils ont perdu, ils ont été poussés à répondre alors que le catcheur n’attendait rien …, rien d’autre qu’un effet de rictus. D’une manière générale, il n’y a rien à répondre au catcheur. Entrer en interaction avec lui, c’est se condamner à perdre, car il fera toujours une manchette interdite et imprévue pour se donner la victoire.
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Conclusion
Les biographes de Trump nous apprennent que ses techniques de manipulation lui ont été bénéfiques : elles lui ont permis, en particulier, de sortir de ses faillites en série. En tout cas, il a désormais poussé la politique à un niveau inégalé de la « politique spectacle ». Ceci grâce à ses électeurs toujours, actuellement, satisfaits du spectacle revanchard qu’il offre. Pour nos hommes politiques, non amateurs de catch, il importerait qu’ils ne se laissent pas prendre par ses rodomontades gesticulatoires, qu’ils ne rentrent pas en interaction avec lui et qu’ils lui répondent uniquement par des actes, sans commentaires, comme le font les Portugais en annulant leur commande de F-35 pour se tourner vers des avions européens.
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