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Le modèle de l'épopée pour un serious game sur le leadership


Les serious game de formation sont les nouvelles formes des récits épiques. Ils assument les fonctions de divertissement et d'éducation-formation des épopées, contes merveilleux et chansons de geste d'autrefois.

L'épopée classique

Supposons un serious game (jeu sérieux de formation digitale) dont le héros-joueur serait Ulysse et les épreuves, les aventures rencontrées dans la fameuse épopée de l'Odyssée. La quête ultime du voyage d'Ulysse, nous le savons, est de retrouver son épouse Pénélope en rentrant dans son royaume d'Itaque. Comme dans un serious game, le voyage d'Ulysse est rempli d'épreuves envoyées par le Dieu Poséidon courroucé car Ulysse a rendu son fils Polyphème, le cyclope, aveugle. Ulysse échappe d'abord à la nymphe Calypso, refuse d'épouser Nausicaa, échappe aux cyclopes, aux sirènes, aux géants cannibales Lestrygons, à la Déesse maléfique Circé, triomphe enfin des prétendants à la main de Pénélope... Comme dans un serious game, le héros reçoit quelquefois des aides extérieures : pour Ulysse, l'aide vient du Dieu messager Hermès envoyé par la Déesse Athéna... Face à ses aventures et pour triompher, Ulysse doit montrer ses capacités de courage, de détermination, d'inventivité, d'intuition, d'habileté... Cet ensemble de qualités compose ce que les grecs appellent la "métis" ou l'intelligence rusée. Ainsi, un joueur qui jouerait bien le rôle d'Ulysse en maitrisant les épreuves rencontrées, ferait-il preuve de cette métis et pourrait être certifié posséder l'intelligence rusée.

Structure des récits épiques

Tous les récits d'épopées et de contes merveilleux : Gilgamesh, l'Iliade et l'Odyssée, l'Énéide, la Chanson de Roland, Les chevaliers de la Table Ronde, Sindbad le Marin, le Seigneur des anneaux, Harry Potter..., sont construits sur la même trame d'intrigue (1). Il y a toujours un héros qui mène une quête, ce héros traverse des épreuves qui doivent révéler ses aptitudes supérieures, il existe des forces qui veulent le faire échouer, il y a des personnages qui peuvent l'aider sous condition... Face à ses aventures et pour triompher, le héros doit montrer ses diverses compétences.

Application du modèle de l'épopée

Dans un serious game de formation au leadership, par exemple, nous trouvons une intrigue qui a la même structure que celle d'une épopée. À travers diverses épreuves, le héros (le joueur), doit faire la preuve de ses aptitudes au leadership. Les capacités intellectuelles et physiques du héros traditionnel (intelligence, bravoure, force...) et ses traits positifs de caractère (générosité, bienveillance, curiosité...), sont remplacés par des aptitudes et des dispositions définies par un modèle canonique international du "bon leader" : la capacité d'empathie humaine, la capacité d'écoute, la capacité d'entrainement, l'aptitude à l'analyse des situations, l'aptitude à la décision, l'aptitude à construire une vision de l'avenir pour son équipe, l'aptitude à se montrer exemplaire, l'aptitude à la fermeté... Ce modèle de référence est important, car c'est en rapport avec lui, qu'à travers ses actions de réaction aux épreuves, le héros-joueur gagnera ou perdra des points sur chacune des aptitudes et des dispositions définies. Les actions de jeu proposées au héros face à chaque épreuve sont donc notées en fonction du modèle de référence.

Les situations-problèmes à résoudre

Les épreuves que le héros-joueur doit réussir au cours de la quête de sa certification sont un ensemble de situations-problèmes représentant les défis typiques que doit maitriser un manager-leader dans le monde actuel de l'entreprise. Le héros-joueur doit être capable de comprendre les enjeux et les motivations de ses collaborateurs ; il doit être capable de négocier, de convaincre et d'entrainer vers ses choix ; il doit être capable de construire une vision de l'avenir de son équipe et de transmettre cette vision ; il doit être capable de mettre en synergie les potentialités de ses collaborateurs et de créer la cohérence de son équipe ; il doit être capable de faire surgir l'intelligence collective de son équipe à travers ses animations ; il doit se montrer exemplaire et servir de modèle à ses collaborateurs à travers ses diverses actions et décisions...

Les instances opposantes

Dans ces situations, les forces qui s'opposent et qui peuvent le faire échouer viennent des contraintes et des évènements de son environnement de travail et des acteurs de son entourage professionnel. Pour les contraintes externes, les forces négatives peuvent venir : d'une crise de l'entreprise : d'une crise économique (fusion-rachat et choc interne de cultures, nécessité de licenciements...) ; d'une crise technique ou opérationnelle (défaillances de services (production, approvisionnement, vente, R&D...) ; d'une défaillance d'outils de gestion ; des erreurs humaines dans l'équipe... ; d'une crise de gouvernance (changement de direction, conflits de pouvoir, désaccord sur les orientations stratégiques...). En ce qui concerne les personnages de son entourage, les forces négatives peuvent venir : d'un nouveau supérieur déstabilisant, de collaborateurs difficiles, de conflits dans l'équipe, de partenaires indélicats ou déficients, de clients mécontents...

Les ressorts favorables

Face aux situations-problèmes typiques qui représentent les épreuves du héros dans le serious game, le joueur n'a pas beaucoup d'aides extérieures. Ce peut cependant être un revirement de situation, une levée de contraintes, une aide hiérarchique, une alliance avec un collègue ou le soutien de collaborateurs. Pour le joueur, les regains d'intérêt dans le déroulement de l'intrigue, viennent souvent de ces deus ex machina imaginés par le scénariste. Pour faire face, le héros doit essentiellement et surtout mettre en œuvre les capacités et aptitudes définies par le modèle de référence et composant la compétence générale au leadership.

L'apprentissage à travers un serious game

Le lecteur d'une épopée ou d'un conte merveilleux, l'auditeur d'une chanson de geste héroïque, intègrent inconsciemment les valeurs portées par les actes remarquables des héros. L'épopée, le conte, la chanson de geste..., ont des vertus éducatives morales. Les "bonnes façons de faire" sont montrées d'une façon exemplaire : il faut simplement s'en inspirer. Mais la mesure de ce qui est acquis par le lecteur ou l'auditeur n'est évidemment pas réalisée. Dans un serious game, la bonne façon de faire n'est pas directement montrée. Le héros-joueur a plusieurs possibilités d'action face à une épreuve. S'il se trompe, comme s'il fait bien, le jeu -qui est un jeu de formation- doit lui fournir un commentaire pédagogique de son action. Le commentaire explique l'erreur à ne pas reproduire ou valorise la bonne action pour renforcer son apprentissage. L'ordinateur enregistre donc les coups joués et les commente à certains moments du déroulement du jeu. Par ailleurs, comme nous l'avons vu, l'ordinateur, en référence au modèle de comportement, note chaque action du joueur qui a ensuite accès à son évaluation et à des conseils de perfectionnement adaptés.

Conclusion

Les serious game de formation sont donc les nouvelles formes des récits épiques. Ils assument les fonctions de divertissement et d'éducation-formation des épopées, contes merveilleux et chansons de geste d'autrefois.

1- Morphologie du conte, Vladimir Propp (1928), 2015, Point.

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